Pouchkine, tueur de poète.
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Eugène Onéguine est le prince de la déprime. C’est le metteur en scène de la mélancolie et du désarroi rieur. C’est l’acteur splendide des « fêtes mortifères ». C’est le pur joyau du rien et de sa définitive acceptation. Le pauvre, s’il avait su que l’amour sauve, il n’aurait pas eu besoin de massacrer un poète, même romantique. Il pense que, pour ne pas être accablé, il se doit d’en tuer un, au moins il saura pourquoi il se trompe du tout au tout.
Comme chaque moujik le sait, Pouchkine avait une très belle femme, coquette, qu’un français – au patronyme sonore comme un comte – courtisait. À cette époque, les français ne savaient plus écrire, ils draguaient. Pouchkine mourra tué par ce queutard. Quelle terrible mise en abîme ! Diantre de diallèle ! Le poète décrit le poète tué, tuer le poète. Onéguine génialise le désœuvrement, qui pousse la mort dans ses derniers retranchements. La mort et l’ennui ne cousinent pas seulement, ils vivent dans des caravanes qui ne se déplacent plus, même par héliocentrisme. Parfois, on entend une dispute ou trois accords de guitare. L’ennui ensoleillé ennuage la mort lumineuse et inversement. L’ennui est un jeu de société ou une promenade familiale en vélo. La mort n’espère pas même l’agonie de l’amour. Onéguine souffre du réel dans un réel sans dévastation. Tout est toujours ce qu’il est. Tout est à sa place. Personne ne vainc le destin immobile. Bien des fois, l’envie de mourir l’étreint comme une pénurie du suicide mais l’amour d’une femme, presque inconsciente de ce qu’elle était, d’une farouche liberté innocente, le réduit au néant, sans qu’il le sache immédiatement, anéanti par son oblomovienne soif du vide : le cynisme est la marelle des adultes énucléés par eux-mêmes.
Pourquoi je parle d’Onéguine ? Je l’ai vu au théâtre dans une belle mise en scène de Bellorini au TGP. Bien sûr, il y a un peu de distanciation ironique. Au début, j’ai râlé. Mon amie m’a dit : « ce n’est rien ». Les amies – surtout celle-ci – ont toujours raison. Elles nous préservent du crachat inopportun. En dépit de quelques blagues – devenues obligatoires dans le théâtre contemporain -, le texte n’était pas mangé par l’égocentrisme de celui qui n’a rien écrit. J’ai pu retrouver mon Onéguine, celui de ma jeunesse moscovite. Onéguine, c’est l’enfer du caviar chaud. C’est le paradis du tartare tiède. Chez lui, l’amour est d’abord une réplique de l’insuffisance et de cette immaturité propre au cynisme qui neutralise l’envie d’être soi. Onéguine aurait dû marcher dans Moscou ou Saint-Pétersbourg plus souvent avec celle qu’il va aimer. Mais il n’y a qu’à Paris que les amoureux flânent. Onéguine, c’est russe, n’est-ce pas ? Oui, comme Boris Godounov, chère madame ! Finalement, l’amour comme la mort ne conviennent pas aux imbéciles. Ces derniers seuls sont immortels. Onéguine demeure un passager. C’est là tout son charme de reptile. Et Dieu sait si distinguer une couleuvre d’une vipère n’est pas facile.
Lelitteraire.com nous livre sa critique du roman de François Mourelet, la langue de tamanoir, paru aux éditions sans escales.
A lire l’article rédigé par Jean-Paul Gavard-Perret, écrivain et critique littéraire chez lelitteraire.com, sur le roman de Francois Mourelet, la langue de tamanoir.
“ François Mourelet livre une fiction qui pourrait quasiment sauver le monde […]Dès lors, le diagnostic critique sera le suivant : il faut lire un tel livre”
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Article publié dans le Télégramme sur les ouvrages de Valéry Molet
Côté pile, il est énarque, haut fonctionnaire en poste à Paris. Coté face, il est écrivain et grand amoureux de la Bretagne. Auteur de nombreux ouvrages, son prochain recueil de poésies, inspiré de son Trégor, doit sortir dans quelques jours.
De sa carrière, Valéry Molet n’en dit pas plus qu’il n’en faut. Historien de formation, il évoque son cursus d’énarque, (promotion Léopold Sédar Senghor, celle d’Emmanuel Macron) et de haut fonctionnaire de façon très pragmatique. Il a eu de nombreuses responsabilités dans l’administration des collectivités territoriales et des établissements publics. « J’ai dirigé un département en Seine-Saint-Denis et travaillé pour le Grand Lyon », dit-il. Aujourd’hui, le quinquagénaire est directeur général de l’EPTB Seine Grands Lacs, un établissement qui gère les barrages et réservoirs d’eau sur les affluents de la Seine.
L’amour de la littérature
Là où l’homme devient plus bavard c’est quand il s’agit d’évoquer la littérature. Il a déjà publié plusieurs ouvrages de poésies, tels que « Le crématorium inutile », aux éditions Ex aequo, et « Animaux vivants à l’intérieur », aux éditions Nouvelle marge. Après un premier roman, « La pâture des vers », il en a sorti un second, « Le sort de l’animal », aux éditions de la P’tite Hélène. De croustillantes nouvelles « Le nœud du pendu », sont également parues chez L’Échappée belle.
S’il ne sait plus depuis quand il écrit, l’homme se souvient que les livres ont toujours fait partie de sa vie. Enfant, son père lui lisait toujours Alexandre Dumas, Victor Hugo mais aussi Aragon ou Eluard. Plus tard, Valéry Molet a vécu à Moscou et s’est ouvert sur le genre russe, venant compléter son appétence pour la littérature. « J’ai écrit, c’est comme ça. C’est un apprentissage assez long et que j’aborde de manière modeste ».
La Bretagne, source d’inspiration
« Ma relation avec la Bretagne date de plus de 30 ans. J’avais des amis qui habitaient Plougrescant, je venais en vacances très souvent, je suis tombé sous le charme de cet endroit », explique celui qui est né et vit toujours à Paris et alentour, « par obligation professionnelle ». Mais son cœur est toujours un peu relié, en pensées, à l’anse de Gouermel notamment. Dès que l‘occasion se présente et qu’il a un peu de temps, il saute dans le train pour un bol d’air costarmoricain. C’est ici qu’il puise toute son inspiration de poète.
Son prochain recueil, « Aucune ancre au fond de l’abîme », aux éditions de La P’tite Hélène, « est complètement géolocalisé dans le Trégor », avoue l’auteur. Une poésie néanmoins contemporaine. Et si l’auteur y glisse des références à Homère ou des auteurs latin traditionnels, la mer ou l’amour - « les deux parfois » - sont avant tout les thèmes qui guident sa plume. « C’est très imaginé, pas hyperbolique ». Il compare son style à celui de René Char et se sent influencé par Apollinaire ou des contemporains russes. Une écriture « qui donne une vision de la région très vivante. Pas d‘image d’Épinal, c’est la Bretagne telle qu’elle est aujourd’hui ».
Du Trégor, l’écrivain se rend aussi plus au sud. Il trouve aussi son inspiration du côté de Douarnenez et du Cap Sizun. Son autre coup de cœur breton. D’ailleurs, son roman à sortir dans quelques jours, lui aussi, aura pour cadre la cité finistérienne. « Au fond de la rade », aux éditions Nouvelle Marge, raconte l’histoire d’un homme qui s’enferme dans un sous-marin dans la rade de Douarnenez pour fuir la folie parisienne mais sera rattrapé par l’afflux touristique généré par sa singulière présence dans ce lieu.
Auteur et éditeur
Prolixe, l’auteur a déjà dans ses cartons un autre ouvrage à sortir, il s’agit d’un essai « Pourquoi je lis Gilles de Drieu la Rochelle », aux éditions Le feu sacré. Par ailleurs, en plus de cette activité littéraire personnelle, l’écrivain vient de lancer sa maison d’édition. « Sans escale » et reçoit d’ores et déjà pléthore d’ouvrages, « alors qu’elle est toute jeune, c’est plutôt bon signe », s’est félicité son créateur, résolument amoureux des mots.
© Le Télégramme
Soirée littéraire à la Société des Explorateurs Français
Toujours plus de littérature, toujours moins d'actualités. Les éditions sans escale sont invitées par le président de la société des explorateurs français, Olivier Archambau.
Une vraie réforme
A cause du cinéma italien, notamment, une légende a couru sur la prééminence de l’incommunicabilité entre les êtres. Comme toutes les légendes, celle-ci est fausse. En outre, elle a le tort d’être stupidement fausse. En réalité, les humains – comment pourrait-on les qualifier autrement bien qu’ils ne ressemblent nullement encore à des humains ? – parlent trop. Et pour les couples, c’est encore plus absurde. C’est le bavardage entre époux qui les tue. Sur l’oreiller, seul le silence devrait compter. Or, même après un coup de rein, il faut dire quelque chose : « c’était bien ? » ou « à quelle heure te lèves-tu ? ».Dix, vingt, parfois trente ans pour les pervers polymorphes, sans interruption verbale, il y a de quoi chercher une maitresse, recourir à un amant ou tout simplement s’adonner à l’abstinence, n’est-ce pas ? J’avais proposé – il fut un temps – un mois du silence. Tout le monde aurait l’obligation légale de se taire. En juillet, par exemple. Cela rabibocherait bien des couples. Aucun député ne m’a suivi en dépit des missives argumentées, envoyées à tous les bords politiques. Et, pourtant, c’est la seule réforme qui aurait du sens. Au lieu de cela, on continue de bavasser, à hue et à dia, chez soi, dehors, tout seul même souvent. Les moyens contemporains de sonorisation – téléphones et autres doudous –démultiplient cette frénésie d’échos : on aspire tous à rentrer dans la grotte, l’époque bénie où aucun silence n’était possible car le moindre ronflement était accru par les parois caverneuses. Pourtant, qu’y a-t-il de plus enchanteur, de plus merveilleux que de tenir la main de sa bienaimée, sans mot dire, face à la mer… dans la Hauteville de Granville, au hasard ? Les vagues sont l’unique radio. On se tait, on sait que cela est suffisant. Instaurons donc une année du silence : le bonheur est à ce prix. Une fois de plus, c’est Fra Angelico qui nous montre le chemin. « Chut ! » donc. Embrassez-vous, vous vous laverez les dents plus tard.
Au fond de la rade
Le nouveau roman de Valéry Molet aux éditions Nouvelle Marge… ne répond qu’à une seule question : y a-t-il une vie avant la mort ?
Sortie le 14 février 2019
la poésie est une contre-vérité sur une peinture de Baptiste Carluy
Aujourd’hui, je suis contre, tellement contre que j’ai envie d’écrire un manifeste, c’est vous dire. Voici soixante ans que la poésie est sobre, « heideggérienne », « charienne ». J’ai même vu une biographie de Guillevic intitulée sobrement « poète et philosophe ». N’est-ce pas grotesque ? On ne dira jamais à quel point la philosophie de l’être a stérilisé une partie de la poésie. Quand les poètes jouent aux profonds, on ne sait plus s’il est préférable d’être clown ou cabot. Non les poètes n’ont pas un accès privilégié aux dieux, pas plus que mon boucher chevalin. Ce ne sont pas les VIP de la divinité. La poésie doit être impérativement ornementale au sens de Paul Valéry, c’est-à-dire narrative, démasquée et chargée. Les adjectifs, les adverbes, les noms saugrenus lui permettront de nouveau la gabegie et le désordre. L’être déteste les poètes, il lui préfère les romanciers et les théologiens à juste titre. La poésie est rabelaisienne et alcoolique, sous peine de quoi elle conçoit son propre poison et s’intoxique elle-même. La preuve : il y a même un festival des haïkus désormais. Et pourquoi ne plus rien écrire du tout pendant que nous y sommes ? L’être et le néant sont à la fois tautologiques et identiques après tout. Si j’étais militant – le diable m’en préserve – j’écrirais un manifeste sur la nécessité d’une poésie narrative, sans quotidienneté et sans question philosophique sous-jacente, une poésie de l’excès dans la contemplation, de la fureur aux abords du silence et de la gomme à effacer les littératures molles. La poésie est une contre-vérité dans un monde sans mensonges. Le mentir-vrai est mort. Nietzsche disait qu’on ne pouvait penser qu’en marchant. La poésie ne doit pas avoir un cul-de-plomb ou la dyspepsie. Il fut un temps où Francisco de Quevedo pouvait écrire « heurs et malheurs du trou du cul ». En était-il moins poète ? Non… Je n’aime pas Hölderlin et ce que les penseurs de l’être en ont fait. Quant à René Char, dame ! J’envie les interjections et les hyperboles de ne l’avoir jamais rencontré ! Je préfère les intempérants aux réunions de poivrots anonymes. Car la poésie mérite mieux que l’existence, la botanique et la génuflexion devant les concepts.
la fin des passions tristes avec Moreau
Il y a un temps pour la mélancolie. Un temps pour l’absence d’aménité. Il existe aussi un moment où il faut soit se suicider, soit reprendre sa vie en main. Généralement, on oscille entre ces deux alternatives et on appelle cela « vivre » tout court, ce qui est tout bonnement le comble de l’insuffisance. On part en vacances. On revient de vacances. On prépare ses prochaines vacances. Entre ces phases languides, on s’imagine être le roi des travailleurs, le prince du sport, le vicomte de la drague ou le seigneur du contreplacage et des étagères. On est assurément « l’empereur des sots », comme dit la marquise de Merteuil. Toutefois, au moment où vous pensez que tout est forclos, raté, désuet, tout à coup, dans un élan de hasard et de fortune, on a entre les mains un livre de Marcel Moreau. Si on l’allonge avec un peu de Spinoza, si on a le bonheur particulier et zigzaguant de rencontrer une autre soi-même, si – en vertu de ces rencontres alliant l’impromptu au dynamisme – on est capable de sortir du cycle contre-véritable de la vie quotidienne, alors un miracle s’opère : les passions tristes disparaissent. Vous êtes à genoux, à pleurer de joie et à tancer votre infecte silhouette passée, qui disparait sous son propre ossuaire, sans objection, noyée de honte. La liberté n’est plus le contre-jour de la nécessité. Vous sentez renaitre en vous la vertu de la jeunesse qui n’a pas d’âge. Vous sentez palpiter votre cœur dont le nez artériel se débouche comme après un archipel de rhumes. Le monstre est réhabilité. La vie doit éclater. Il n’y a pas une parcelle de libre pour la consternation, l’envie et les bilans. Tout est démesurément trop petit. Seuls les châteaux de sable ont de la valeur. La beauté de la vie vous rend presque tragique, c’est-à-dire dénué d’ironie vindicative. Marcel Moreau a écrit le plus beau livre sur l’amour : « Nous amants au bonheur ne croyant… ». L’amour n’existe pas, c’est la raison pour laquelle il faut le vivre. L’amour préexiste à tout, c’est pour cela qu’il faut l’enfourcher. Avec ce balai entre les cuisses, les distances entre les autres et vous ne signifient plus rien. À la fin de tout, il n’y aura plus de comptabilité. La vie sociale sera perçue comme une vaste galéjade. Les « idées » vous feront vomir. Il ne restera que quelques phrases et les êtres que vous avez aimés. Seul l’amour disparaitra dans le néant bienfaisant, emportant avec lui un regard bleu dont le ciel porte la lagune. Une teinte de cheveux adorablement décevante. Le reste – ce qui ne compte pas – survivra dans une terreur indéfinissable qu’on appelle poliment l’histoire – cet étron des annales. Je vous laisse le soin de choisir entre l’éternité et la réussite. Avec Marcel Moreau, je choisis « le troublant mystère de l’inséparation » et « l’héritage du Fou et du Monstre », sans repères et sans dates, afin de n’être plus à l’étroit dans notre immensité.
De la mélancolie active
Des lettres de Van Gogh à son frère
Pauvres artistes parfois ! A la lecture des lettres de Van Gogh à son frère, on éprouve le même sentiment qu’à l’énoncé de la vie de Nietzsche. Cela laisse un sentiment de malaise devant tant de malaises. Ce penchant pour le malheur – cette lutte pour tenter de n’y pas sombrer – participe d’une sourde ironie involontaire. Tant de vitalité dans l’art et tant d’empêchement dans l’existence sont une source d’interrogation comme si le fait d’être interdit dans la vie conditionnait la possibilité – rarement réalisée au demeurant – des actes de création : l’amorphe (dont l’autoanalyse, la recherche éperdue de l’esseulement, l’incapacité protocolaire sont les attributs) tranche en faveur de la forme artistique. D’ailleurs, il est étonnant de voir à quel point des personnalités aussi maladives que Nietzsche et van Gogh se rejoignent lorsqu’ils se contemplent. Tous les malades convergent vers la lucidité. Ainsi, Van Gogh – au même titre que le philosophe distingue deux types de nihilisme – sépare la mélancolie passive de la mélancolie active. Il se définit lui-même comme un mélancolique actif c’est-à-dire qu’il considère que ses actions vis-à-vis des miséreux dans le Borinage, son prosélytisme ont pour socle une mélancolie particulière, non avachie, ascendante.