« L’homme est bon, le veau est excellent ! »

« L’homme est bon, le veau est excellent ! ». Chacun reconnaîtra la phrase de Brecht qui fait la joie des bouchers non chevalins et rend amers les anthropophages. Sous cet apparent cynisme, n’y a-t-il pas une vérité profonde ? A savoir qu’il faudrait parfois mettre sur les étals la viande un rien duraille de bon nombre d’écrivains afin de pouvoir la comparer avec le tende de tranche ou l’escalope. Filant la métaphore de la feuille et autres hachoirs, j’évoquerais la tendresse toute particulière des écrivains qui exilent le bicarbonate de soude, célèbre pour sa capacité à attendrir les biftecks coriaces. Prenons un exemple : Louis Aragon. En effet, après une éternité d’abstinence, voilà que je me suis replongé dans la lecture de ce génie jadis tant fréquenté. Sur le marbre du boucher, il ressemble à un filet de bœuf. De La Défense de l’infini – livre foutraque et merveilleux – à ces poésies de cinquantenaire, Aragon est le prototype du talent polycrate. Il sait tout faire, il est incomparable. Il y a bien quelques mauvais textes. Mais demande-t-on à un professionnel de la création d’être un créateur étal ? Il a des hauts et des bas mais ses bassesses sont supérieures à la moyenne des hauteurs des chairs à ragoût. Tout le monde l’aime, ce trésor national ! Eh alors ? Ce n’est pas parce que tout le monde mange du steak haché qu’il faut se détourner du tartare. Aragon est unique, comme Hugo qu’il conseillait ardemment de lire. Il y aurait donc deux uniques ? A cette question digne de la théologie apophatique qui s’interrogeait sur le point de savoir ce que n’était pas Dieu, sans prétendre connaître ce qu’il pouvait bien être, je répondrai avec malice que « nous ne savons pas tout, nous ne sommes pas assez jeunes ».