Le nouveau roman de Valéry Molet aux éditions Nouvelle Marge… ne répond qu’à une seule question : y a-t-il une vie avant la mort ?
Sortie le 14 février 2019
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Le nouveau roman de Valéry Molet aux éditions Nouvelle Marge… ne répond qu’à une seule question : y a-t-il une vie avant la mort ?
Sortie le 14 février 2019
Aujourd’hui, je suis contre, tellement contre que j’ai envie d’écrire un manifeste, c’est vous dire. Voici soixante ans que la poésie est sobre, « heideggérienne », « charienne ». J’ai même vu une biographie de Guillevic intitulée sobrement « poète et philosophe ». N’est-ce pas grotesque ? On ne dira jamais à quel point la philosophie de l’être a stérilisé une partie de la poésie. Quand les poètes jouent aux profonds, on ne sait plus s’il est préférable d’être clown ou cabot. Non les poètes n’ont pas un accès privilégié aux dieux, pas plus que mon boucher chevalin. Ce ne sont pas les VIP de la divinité. La poésie doit être impérativement ornementale au sens de Paul Valéry, c’est-à-dire narrative, démasquée et chargée. Les adjectifs, les adverbes, les noms saugrenus lui permettront de nouveau la gabegie et le désordre. L’être déteste les poètes, il lui préfère les romanciers et les théologiens à juste titre. La poésie est rabelaisienne et alcoolique, sous peine de quoi elle conçoit son propre poison et s’intoxique elle-même. La preuve : il y a même un festival des haïkus désormais. Et pourquoi ne plus rien écrire du tout pendant que nous y sommes ? L’être et le néant sont à la fois tautologiques et identiques après tout. Si j’étais militant – le diable m’en préserve – j’écrirais un manifeste sur la nécessité d’une poésie narrative, sans quotidienneté et sans question philosophique sous-jacente, une poésie de l’excès dans la contemplation, de la fureur aux abords du silence et de la gomme à effacer les littératures molles. La poésie est une contre-vérité dans un monde sans mensonges. Le mentir-vrai est mort. Nietzsche disait qu’on ne pouvait penser qu’en marchant. La poésie ne doit pas avoir un cul-de-plomb ou la dyspepsie. Il fut un temps où Francisco de Quevedo pouvait écrire « heurs et malheurs du trou du cul ». En était-il moins poète ? Non… Je n’aime pas Hölderlin et ce que les penseurs de l’être en ont fait. Quant à René Char, dame ! J’envie les interjections et les hyperboles de ne l’avoir jamais rencontré ! Je préfère les intempérants aux réunions de poivrots anonymes. Car la poésie mérite mieux que l’existence, la botanique et la génuflexion devant les concepts.
Il y a un temps pour la mélancolie. Un temps pour l’absence d’aménité. Il existe aussi un moment où il faut soit se suicider, soit reprendre sa vie en main. Généralement, on oscille entre ces deux alternatives et on appelle cela « vivre » tout court, ce qui est tout bonnement le comble de l’insuffisance. On part en vacances. On revient de vacances. On prépare ses prochaines vacances. Entre ces phases languides, on s’imagine être le roi des travailleurs, le prince du sport, le vicomte de la drague ou le seigneur du contreplacage et des étagères. On est assurément « l’empereur des sots », comme dit la marquise de Merteuil. Toutefois, au moment où vous pensez que tout est forclos, raté, désuet, tout à coup, dans un élan de hasard et de fortune, on a entre les mains un livre de Marcel Moreau. Si on l’allonge avec un peu de Spinoza, si on a le bonheur particulier et zigzaguant de rencontrer une autre soi-même, si – en vertu de ces rencontres alliant l’impromptu au dynamisme – on est capable de sortir du cycle contre-véritable de la vie quotidienne, alors un miracle s’opère : les passions tristes disparaissent. Vous êtes à genoux, à pleurer de joie et à tancer votre infecte silhouette passée, qui disparait sous son propre ossuaire, sans objection, noyée de honte. La liberté n’est plus le contre-jour de la nécessité. Vous sentez renaitre en vous la vertu de la jeunesse qui n’a pas d’âge. Vous sentez palpiter votre cœur dont le nez artériel se débouche comme après un archipel de rhumes. Le monstre est réhabilité. La vie doit éclater. Il n’y a pas une parcelle de libre pour la consternation, l’envie et les bilans. Tout est démesurément trop petit. Seuls les châteaux de sable ont de la valeur. La beauté de la vie vous rend presque tragique, c’est-à-dire dénué d’ironie vindicative. Marcel Moreau a écrit le plus beau livre sur l’amour : « Nous amants au bonheur ne croyant… ». L’amour n’existe pas, c’est la raison pour laquelle il faut le vivre. L’amour préexiste à tout, c’est pour cela qu’il faut l’enfourcher. Avec ce balai entre les cuisses, les distances entre les autres et vous ne signifient plus rien. À la fin de tout, il n’y aura plus de comptabilité. La vie sociale sera perçue comme une vaste galéjade. Les « idées » vous feront vomir. Il ne restera que quelques phrases et les êtres que vous avez aimés. Seul l’amour disparaitra dans le néant bienfaisant, emportant avec lui un regard bleu dont le ciel porte la lagune. Une teinte de cheveux adorablement décevante. Le reste – ce qui ne compte pas – survivra dans une terreur indéfinissable qu’on appelle poliment l’histoire – cet étron des annales. Je vous laisse le soin de choisir entre l’éternité et la réussite. Avec Marcel Moreau, je choisis « le troublant mystère de l’inséparation » et « l’héritage du Fou et du Monstre », sans repères et sans dates, afin de n’être plus à l’étroit dans notre immensité.
Des lettres de Van Gogh à son frère
Pauvres artistes parfois ! A la lecture des lettres de Van Gogh à son frère, on éprouve le même sentiment qu’à l’énoncé de la vie de Nietzsche. Cela laisse un sentiment de malaise devant tant de malaises. Ce penchant pour le malheur – cette lutte pour tenter de n’y pas sombrer – participe d’une sourde ironie involontaire. Tant de vitalité dans l’art et tant d’empêchement dans l’existence sont une source d’interrogation comme si le fait d’être interdit dans la vie conditionnait la possibilité – rarement réalisée au demeurant – des actes de création : l’amorphe (dont l’autoanalyse, la recherche éperdue de l’esseulement, l’incapacité protocolaire sont les attributs) tranche en faveur de la forme artistique. D’ailleurs, il est étonnant de voir à quel point des personnalités aussi maladives que Nietzsche et van Gogh se rejoignent lorsqu’ils se contemplent. Tous les malades convergent vers la lucidité. Ainsi, Van Gogh – au même titre que le philosophe distingue deux types de nihilisme – sépare la mélancolie passive de la mélancolie active. Il se définit lui-même comme un mélancolique actif c’est-à-dire qu’il considère que ses actions vis-à-vis des miséreux dans le Borinage, son prosélytisme ont pour socle une mélancolie particulière, non avachie, ascendante.
Il y a vraiment de vilaines journées, notamment les journées de fête qui s’accompagnent d’une animalité toujours renaissante. Sous les effets de la température festive, les habitants quittent les oripeaux d’une humanisation relative. On se met à hurler, on se dévêt, on s’énerve. Je suis de méchante humeur en raison de l’absence de sommeil et de cette humanité temporairement déclinante comme si la fin d’année réexaminait l’intérêt qu’il y aurait eu à ne pas sortir de la grotte. Le processus d’humanisation, bien que constant, est toutefois fragile et réversible. La fête étouffante est propice à l’éternel retour de la criminalisation de ce qui fait de nous des êtres humains. Je repense aux propos de Nietzsche qui dit des hommes qu’ils sont déjà dépassés, qu’ils sont au fond un phénomène d’hystérésis avant même d’être des victimes de l’hubris. De son côté, Hegel précise que les hommes sont à venir, qu’ils sont en cours de formation comme le démontre sa typologie artistique. Selon lui, un des critères de l’humanisation est la disparition de l’art. L’art ne représente qu’une modalité temporaire de la spiritualisation. Quand les hommes seront parfaitement hommes, l’art n’aura plus aucune espèce d’importance. Seule la philosophie pourra les contenter. Dès lors, où que l’on tourne la tête, les hommes sont infirmes ou ne sont pas encore : c’est à désespérer de sa propre présence ; à croire au reste qu’entre ceux qui pensent que les hommes sont dépassés ou ne sont pas encore passés, ne restent que ceux qui désespèrent d’être des hommes que partout l’on pourchasse comme n’étant pas de ce monde. Il nous reste à devenir fous ou avoir une belle moustache.
Je n’avais jamais approché de si près la laideur. J’ai enfin découvert la ville d’A… Contrairement à la beauté, la laideur est toujours relative. La beauté et la laideur ne peuvent se comparer : ce sont deux catégories étrangères. Elles ne s’opposent pas et elles ne convergent pas. Elles n’ont rien de commun. Le seul avantage de cette ville affreuse, saugrenue de mocheté, est que j’ai pu remplir ma hotte de cauchemars futurs, pour deux ou trois ans. Au moins, je ne rêverai plus par défaut. C’est aussi ici, au milieu de cette platitude de la défonce diurne, des prestations sociales et du ressentiment cacophonique, que j’ai appris la mort de Marc Ogeret. Ogeret, c’est d’abord un rythme, puis une voix, un dédoublement de voix, – car l’on chante toujours avec lui – parfois fausse (comme Jean-Pierre Léaud joue faux, c’est-à-dire si juste dans la théâtralité de sa propre dissonance). Il chante les poésies de telle sorte que le monde parait ajusté. C’est si rare. Sa voix caverneuse rend la grotte lumineuse. C’est à A… qu’il est mort pour moi bien qu’il soit mort à Semur-en-Auxois… Peu importe ! Qu’importe d’où la mort vient, elle s’acclimate si bien à la disgrâce et parfois à la beauté qui ne s’étalonne pas. Marc Ogeret a disparu sans laisser de traces. Cela fait près de trois mois qu’il est décédé et je ne l’ai appris qu’hier. Pourtant, il m’arrive d’ouvrir un journal par dépit. Les journaux sont des poignées d’amour arrachées au flanc des cochons. Je les ouvre sans les lire, jamais. J’ai une définition de la bêtise : la bêtise, c’est l’absence de silence. Le silence n’a pas toutes les vertus pour autant, même s’il représente la possibilité du bien mauvais bien. Marc Ogeret m’a donné tort. Il méritait mieux que le silence. Mais il ne jouait pas de la guitare électrique et aucun habitant de la ville d’A… ne connaissait son nom. Aucun tee-shirt n’avait son visage pour effigie.
Qu’il fasse beau ou qu’il fasse beau – la pluie semble avoir disparu des radars franciliens -, c’est mon habitude de me promener à travers Paris et sa banlieue. Il y a de nouveau des grues, des chantiers et des bâtiments qui s’élèvent. On respire mieux dans la poussière si vraie du ciment. Paris se transformait en voie royale pour déambulateurs. Ce n’est pas encore gagné mais le tribunal, la philharmonie, la nouvelle église orthodoxe, les tramways et la canopée des Halles redonnent un peu d’espoir. Pour construire, il faut savoir raser. La destruction est aussi une passion créatrice. Les quartiers de la bibliothèque nationale et de la Seine-Saint-Denis, aussi vilains soient-ils parfois, sont préférables à rien. Une ville n’est pas un organisme vivant : c’est une affluence de parasites qui s’entredévorent, s’annulent et se régénèrent. J’adore l’idée que les prairies, les forêts et les champs disparaissent sous la prolifération parasitaire. Les métropoles ont un rapport direct à la métaphysique. Pourquoi y a-t-il du mortier plutôt que rien ? Comme le dit Nietzsche des poètes, les villes « n’ont pas la pudeur de leurs aventures ; elles les exploitent ». Certaines cessent d’être aventureuses. Elles s’arrêtent de se guider elles-mêmes dans la discipline foutraque de leur chaos pour s’engouffrer dans le néant nostalgique. Dans ces cités, il y a des plaques commémoratives sur lesquelles on apprend que tel roi a déféqué à l’auberge machin-chose. Tout est transformé en un vaste urinoir où l’ammoniaque allie la rose et l’aboulie. Parfois, on pense à Léon Bloy habitant Cochons-sur-Marne. La mort rôde alors sous la chapelure des rénovations des bâtiments anciens. Le suicide en vient à ressembler à de la vitalité. Paris, lui, resplendit quand les marteaux piqueurs font la fête. On a envie de tout bétonner, même le miel. Si seulement, on pratiquait le courage des gratte-ciels et l’héroïsme de l’équarrissage des quartiers historiques : ce serait encore plus poétique. En grec, la poésie est l’action de faire. Pour Aragon, faire relevait de la commission, de la grosse. Peu importe d’ailleurs, il n’y a plus de paysan de Paris. Mais il reste tant de traités du style à écrire pour que, enfin, nous devenions ce que nous en sommes dans un monde qui ne cesse de perpétuer les transformations contre l’esprit de bourgade et des culs-de-plomb. Je m’arrête une seconde devant les grands moulins de Pantin en me posant cette question : les mouffettes ont-elles un jour dénigré leur terrier ? Aussi incongru qu’un vrai créateur parlant de politique. Il y a des vulgarités qui ne méritent pas même l’hypothèse d’un renoncement à l’acier.
Nous y voilà. Nous sommes tous vieux et le soleil brille constamment. Le rêve héliotropique de la tong perpétuelle et du laisser-aller vestimentaire s’est concrétisé. Les températures sont constantes et le ciel bleu : les merveilleux nuages de Baudelaire ont disparu dans la laideur d’une fête permanente où la musique domine toutes les formes d’expression. Heureusement, il y a encore des gisants au cœur tendre qui adorent la pluie, les cumulus et l’hébétude mutique d’une promenade. Ces fous-là préconisent la disparition du soleil en l’état et des sandalettes. Ils souhaitent l’instauration d’une année du silence. Il faudrait juste se taire. Les récalcitrants seraient condamnés à vivre sur une côte d’azur planifiant le désordre de l’agitation inutile dans une atmosphère de contrebasses embrassant le néant de la trépidation. Seule cette réforme sociale a de l’avenir : le silence enfin. Je rêve d’une journée sans bips, sans concerts, sans rideau qui se lève. Je réclame l’inondation des pluies torrentielles, le ciel gris et le clapotis intérieur de la poésie ou de l’activité sexuelle que calfeutre le plaisir de barrer la route à l’instinct grégaire. Imaginez cela un seul instant : le ciel est bas comme avant un orage, les véhicules sont tous à l’arrêt, les chaines hi-fi sont muettes, les jeunes sont vieux et les vieux sont jeunes. On marche dans les rues : il n’y a rien qui bruisse ou gigote. Les battements de cœur font grève. Bon, c’est vrai, cela pourrait ressembler à la mort ou à l’Union soviétique. Instaurons au moins une journée du silence pour réapprendre à penser la fureur. Rien de telle que la maladie – selon Nietzsche – pour apprécier la santé. Pour aimer les orteils, il est parfois nécessaire de les couvrir de gros godillots. Moi, le soleil perpétuel me rend dépressif. Les baromètres relèvent de la pure beauté.
J’ai une amie qui semble hésiter entre deux hommes dont elle pense être également amoureuse. Depuis Platon, on sait qu’il serait préférable que nous soyons tous androgynes, cela éviterait bien des complications. Même les eunuques tombent amoureux, sans parler des culs-de-jatte. Néanmoins, puisque les théories platoniciennes ne s’appliquent pas plus ici qu’ailleurs, il faut bien réfléchir aux moyens qui lui permettraient de sortir par le haut de cette situation triangulaire. Faut-il qu’elle applique la méthode de la marquise de Merteuil ? Non, elle ne peut pas car elle n’est ni cynique ni vindicative. Doit-elle imiter l’héroïne de Jules et Jim ? Je ne crois pas car son traditionalisme social – en dépit de son courage personnel – le lui interdit. En réalité, elle doit trouver sa propre voie, ce qui est le meilleur moyen de s’égarer et de se déposséder pour reprendre ensuite ses esprits. Sans qu’elle le sache, je pense que son choix est déjà fait. Mais peut-on savoir quelque chose que l’on ignore ? Par la théorie de la réminiscence ? Ce serait remettre en selle Platon. A priori, le bonheur est accessible, même aux femmes remarquables. Aucun homme n’y accède, sauf quelques médiocres. Ces postulats ne permettent guère d’espérance et, pourtant, il arrive que, miraculeusement, une issue soit trouvée sans qu’on l’ait véritablement pensée ni même cherchée. « Il n’y a pas de problème que l’absence de solution ne puisse résoudre ». Cette vérité s’applique particulièrement dans le domaine amoureux pour la raison simple que personne ne sait comment cela marche. Un tel pense que l’amour ne vise que la procréation et que l’espèce parle en nous, tel autre que l’amour a une relation directe avec le chenil, un troisième en fait une bassine romantique… En réalité, il n’y a rien de satisfaisant. En quoi ai-je aidé cette amie ? En rien ? Si. En lui exposant ces bribes de salmigondis, elle a appris qu’elle n’y pouvait rien et qu’aucun être humain ne pouvait l’épauler. L’extravagance amoureuse n’est pas même irrationnelle. Il faut de la bravoure pour ignorer ce que l’on soupçonne. En outre, il y a des gens doués pour la félicité. Elle en fait partie. Nulle trace d’acédie chez elle. Il est donc fort probable qu’elle s’en sortira renforcée, toujours belle et aimée. En effet, les désastres se trouvent hors de son champ de vision. Après tout, selon moult cuisinières, la bisque de homard serait du poisson tandis que certains amants confondent la barre-à-mine de l’affection et la strychnine. A ce niveau d’indétermination, cette amie a bien le droit d’écarquiller les yeux.