Granville est le centre du monde

Dali est un grand peintre et un bon faiseur de mots. Sa peinture est parfois boursouflée et emphatique, son ironie presque jamais. « Quelle est la différence entre un fou et moi ? »  demandait-il, goguenard. « La différence c’est que, moi, je ne suis pas fou ! ». Dali avait presque toujours raison. Cependant, il a commis une grave erreur en désignant la gare de Perpignan comme étant le centre de l’univers. En réalité, l’équilibre des mondes et de leurs périphéries se réalise à la gare de Granville. Bien sûr, il n’est pas sûr que ces propos de cheminots tiennent en haleine les habitants des terres explorées. Toutefois, le fait que la gare de Granville soit avant tout un port – si l’on en juge par les peintures murales du hall -, et que les trains, lorsqu’ils arrivent, échouent exagérément sur la grève, démontrent le charisme et la fantasmagorie du ballast, si cousin des galets. A peine sortis du wagon, les enfants ont les pieds grignotés par les méduses. Les adultes ont des étrilles dans les cheveux. Les grognons tentent d’ôter les algues de leurs journaux à idées plates. Trop tard, les informations deviennent inutiles. Tout se passe désormais spirituellement et physiquement. La gare de Granville est le sable mouvant de vos centres d’intérêt. C’est une vague statique, mais une vague tout de même. Elle avale tout ce qui fait le puits de votre quotidien. C’est un remontant : le marchepied franchi, l’ivresse vous gagne. Ensuite, titubant, vous avancez jusqu’au musée Anacréon, pas le poète grec, celui qui a dit si profondément que la beauté « triomphe du fer et du feu », mais le donateur, ami de Malraux. Et là, entre Gen Paul, Vlaminck et Picabia, deux choses vous catapultent ailleurs: les danseuses de Rodin et la plage de Charles Dufresne. Au-delà des plaisirs de la plage et des mouvements de la danse, qu’y a-t’il ? A peu près rien qui ne ressemble à une liste de courses ou le bruit d’un quad : deux métonymies de l’enfer. Dès lors, une hésitation de géographe vous étreint : le centre du monde est-il le musée ou la gare de Granville ? A l’énoncé de cette question, votre cervelle se répand sur vos certitudes comme l’autoportrait mou de Dali. Et comme d’habitude, Strabon n’est d’aucun secours.