La mélancolie est un plat réchauffé

Voici plusieurs jours que je suis dans une maison au bord d’une falaise face à la mer. Il pleut sans discontinuer. C’est d’une tristesse si intense que j’ai l’impression de regarder la télévision. Ou de commenter une décision administrative. Ou de voir mémé et pépé nettoyer leurs bûches avant de les jeter dans l’âtre ! Les moines appelaient ces moments de mélancolie, l’acédie. Quand ils en étaient là, le Christ ressemblait à un étron fumant déposé le long d’une pissotière par tous les diables. L’acédie est d’une force terrible en fin d’après-midi. Le vide pénètre les êtres comme un suppositoire de détresse. Même Baudelaire n’aurait plus aimé « les nuages, les merveilleux nuages ». Les yeux se transforment en cordes de pendus par lesquelles on descend pour se noyer. La vague n’interdit pas le rasoir. Les neurones s’agitent dans un magma que met en scène un pyromane muni de hallebardes. Les têtes rapetissent sous la souffrance. Les Jivaros dominent le monde et Offenbach devient plus génial que Stravinsky. C’est comme lire une interview d’un chanteur de rock : Cela beugle de clichés en forme de limaces qui percent les tympans et de « tu vouas, tu vouas ! ». « Ah ! Quelles terribles cinq heures du soir ! ». Vous devenez Pierrot le fou et tous les tueurs en série façonnent une philanthropie nouvelle. La dynamite est comme une sucrerie. Durant cette période de traumatisme monstrueux, où l’espoir s’incarne en un intérimaire avec deux bras dans le plâtre, un « philosophe politique » et un sociologue qui a capté l’air du temps, bref un égout à ciel ouvert sans ciel, sans cloaque et sans huis oxygéné, l’histoire de la mélancolie de Robert Burton publié en 1621 semble un remake comique de Cléopâtre avec Elisabeth Taylor et son Burton de mari. Cioran ressemble alors à un acteur de film porno et à un clown dénonçant le nez rouge comme un appendice extraterrestre. Dans ces instants, des envies de meurtres vous submergent comme si vous deviez être le dernier survivant d’une humanité sans zob ni nib. Puis, les coups de vingt heures sonnent et, enfin, vous êtes libéré de l’affreuse, indispensable et minable métaphysique. Vous êtes libéré de la mort. Vous balancez l’ennui comme une chaussette pour cul-de-jatte. Vous regardez vos ongles et vous trouvez ces traces de primates d’une beauté incroyable. Vous avez presque envie de saluer votre boulangère, celle qui vous vend des pains déjà rassis et des croissants à l’huile de palme, en vous insultant quand vous dites que c’est écœurant. La vie, quand même, est une dégoulinante blague dont l’odeur vous revigore. Et puis, là, sous vos yeux, à portée de main, il y a la mer, la forêt, le sable nés pour les enfants qui marchent d’un pas décidé sur les sentiers des douaniers et qu’il faut porter quand ils sont fatigués ! Leur égoïsme insolite, leur enthousiasme d’être là, leur manière de manger une crêpe en mastiquant bruyamment, leurs splendides saletés autour de la bouche et leurs poux si mignons, vous  éloignent du syndrome de la toile cirée et des caprices de la démence. Faites des enfants, vite, maintenant, ne tardez pas et dansez, bon Dieu, dansez ! Et, par pitié, pas de morale mais du vin, du tabac et pas sur les balcons mais à table, avec les enfants qui le respirent, un peu de poésie et de l’amour – ce truc éculé mais qu’on retrouve toujours derrière l’oreille ou dans une manche ! Gérard Majax  et Garcimore sont éternels !  Après tout, la mélancolie n’est qu’un plat réchauffé par le briquet d’une paire de chaussons qui froufroute sur une paire de patins. Mais les yeux des enfants sont grand ouverts !